lundi 16 mars 2009

Berlin-Hohenschönhausen, prison de la Stasi.



Aujourd’hui, j’ai visité l’ancienne prison de Berlin-Hohenschönhausen.

Hohenschönhausen, dans la banlieue de Berlin, fût un camp spécial soviétique jusque dans les années 60, puis la maison d’arrêt centrale du ministère de la Sécurité d’Etat de la RDA, plus connu sous le nom de « Stasi ». On y envoyait toute personne suspectée de tentative de rébellion, ou de fuite du pays, ou de quoi que se soit d’autre.



La prison est un bâtiment très discret, dissimulé au sein d’un groupe compact de vieilles usines en briques. Elle étonne par son apparence banale. A l’époque, les voisins ignoraient pour la plupart sa triste fonction. Les prisonniers étaient convoyés en camionnettes banalisées, et la bâtiment située au cœur d’une zone strictement interdite d’accès, absente des cartes de Berlin. La population avait entendu des rumeurs évoquant l’existence d’une pareille prison secrète, mais nul ne savait où elle se trouvait, et si même elle existait vraiment.



Petit rappel par les chiffres du pouvoir de contrôle exercée par la Stasi sur la population est-allemande :
- 91 000 fonctionnaires pour 16 millions d’habitants (contre seulement 15 000 côté ouest, et 7 000 pour la Gestapo)
- 189 000 indicateurs
- 90 000 courriers contrôlés quotidiennement




L’ancien camp soviétique de Hohenschönhausen est située dans les caves du bâtiment. Ce fût une prison d’une cruauté innommable. Elle doit son surnom de « U-Boot » au fait que ses cellules souterraines ne disposaient d’aucune fenêtre et étaient en permanence extrêmement humides et jamais chauffées. Les prisonniers – opposants politiques, nazis, gêneurs en tous genres, et même d’anciens déportés - étaient systématiquement privés de sommeil et torturés physiquement. La plupart étaient poussés à des « aveux » accablants, puis expédiés dans des camps de concentration nazis reconvertis, sur le territoire allemand, ou en URSS. Ou bien aussi simplement exécutés et enterrés dans des trous d’obus. La méthode la plus affreuse employée pour faire parler les détenus réfractaires fut l’emploi de minuscules cellules qui se remplissaient lentement d’eau, et dans lesquelles on les enfermait des jours entiers.



A partir de 1951, c’est une nouvelle prison qui prend la relève, adaptée aux techniques de tortures psychologiques issues des recherches de l’université de la Stasi. Pour vous donner une idée du dispositif, cette prison comptait environ trois fois plus de gardiens et d’officier-interrogateurs que de prisonniers. Chaque détenu avait droit à une salle d’interrogatoire particulière, dans laquelle il était questionné à longueur de journée. Les dissidents enfermés là n’étaient jamais atteints physiquement, pour ne laisser aucune trace qui puissent faire office de témoignage, mais maintenus dans un état de désorientation et d’isolement absolu. La Stasi avait des protocoles de détention sophistiqués capable de venir à boût de n’importe qui (à part peut-être de Patrick McGoohan, et encore). Les détenus ne savaient jamais où ils se trouvaient - la camionnette qui les conduisait à la prison faisait des tours de pâté de maison pendant des heures te des heures -, étaient appelés par leur numéro de cellule, ne se rencontraient jamais les uns les autres et ne pouvait pas parler aux gardiens, ne possédaient aucun effets personnels (pas même de lunettes), étaient quotidiennement privé de sommeil (réveil toute les demi-heures la nuit), habillés avec des vêtements choisis spécifiquement dans de mauvaises tailles, emmenés fréquemment en voiture avec un sac sur la tête pour des simulations d’exécution. Les prisonniers étaient coupés hermétiquement du monde extérieur pendant des mois, des années parfois. Leur seuls interlocuteurs : les agents de la Stasi. Un prisonnier pouvait avoir jusqu’à trois interrogateurs exclusifs. On dressait des profils psychologiques très élaborés des détenus, et sélectionnait leurs officiers en fonction d’une extrême ressemblance physique et morale avec un être cher (père, petit frère, fiancé, etc.). Tous les interrogatoires suivait des schémas pré-établis extrêmement complexes, destinés à briser complètement les détenus, et surtout ensuite à leurs faire révéler les noms de tous leurs complices. Bon, j’arrête là les détails horribles, wikipedia doit pouvoir prendre le relais, mais en résumé, les conditions de détention dans cette prison centrale étaient tout simplement atroces.



Nous avons été guidés au cours de notre visite par Matthias, un ancien prisonnier, ayant séjourné ici pendant 5 mois dans les années 80 alors qu’il n’avait que 20 ans, pour avoir tenté de passer à l’ouest. J’ai vraiment été marqué par cette expérience déchirante, et je peux vous dire que cette réalité rejoint et dépasse les pires cauchemars d’Orwell dans 1984. L’aboutissement de toute cette mécanique de déshumanisation s’appelle je crois la déprivation, l’effacement de toute forme d’identité et de résistance. Mais au spécialiste en psycho de compléter tout ça ! Bon, promis, je vous raconte des choses plus gaies la prochaine fois ! Le mot de la fin : la DDR fût le pire Etat policier que le monde est jamais connu, et l’ostalgie c’est bon pour les enf…és ! Ah oui, et aussi, dormez bien, vous êtes chanceux !



ps: et pour Alice, un lave-vitre, c'est ça!



14 commentaires:

  1. Cinématographie à associer avec cette balade:

    "La vie des autres"

    "Goodbye Lenin"

    ; )

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  2. Rhalala! Je te reconnais bien là Tonio, à peine arrivé a BerlinBerlin et déjà un quartier friche industrielle et la prison de la Stasi!
    Quand bien même ce billet était super chouette, ça m'a rappelé "Der tunnel" avec Mde Hase.

    Et j'ai une demande : est-ce que tu peux faire une billet sur ton Université ?
    Si tu trouves que ça a un quelconque intérêt bien sûr, sinon...

    Bon je te communique de plus amples nouvelles par mail, j'ai trop peur de m'épancher sur la place publique

    Matmath

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  3. Poutain 189.000 informateurs, voila qui devrait faire rêver notre bon vieux Brice Hortefeux national !

    Si je peut me permettre de couper les cheveux en quatres : pire régime policier que le monde ai connu ?
    Ca se discute, cf la corée du nord, et un exellent arte reportage sur ce "regime" sectaire à peine concevable :
    http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/arte-reportage/2741234.html

    Sélim

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  4. Blog très intéressant et bourré de petits trucs sympas, très belles photos également :D !
    Merci pour cet article, ds lequel j'ai pu piqué quelques infos pour mon exposé sur la Stasi.
    merci encore
    Bye bye et bonne continuation !

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  5. "Le mot de la fin : la DDR fût le pire Etat policier que le monde est jamais connu"
    C'est oublier le régime des khmers rouges de Pol Pot au Cambodge... et les autres

    "et l’ostalgie c’est bon pour les enf…és !"
    C'est non seulement méconnaître le phénonmène que décrire cela tout autant que réduire la RDA à un Etat-Stasi. L'ostalgie est le regret du passé au temps de la RDA – le plus souvent de son propre passé en Allemagne de l’Est – et les difficultés rencontrées devant la perte d’un environnement familier.
    La part d’Allemands de l’Est, qui regrettent le système tel qu’il était, la Stasi, l’État répressif ou le Mur, est infime. C’est une RDA « sociale » que l’on regrette devant le taux de chômage encore très important dans les Länder de l’Est et les déceptions face aux promesses de la réunification. Conséquence d’un déficit identitaire, sentiment d’infériorité, discours lacunaires et déception suivant l’unification sont aujourd’hui autant de raisons mobilisées pour tenter d’expliquer l’Ostalgie, terme employé à tout va, phénomène bien plus complexe qu’il n’est le plus souvent décrit.
    L'ostalgie est indépendante de l'horreur des pratiques de la Stasi et de l'État répressif qu'était la RDA et c'est en partie le fait que l'on ne retienne que cela de l'Allemagne de l'Est qui vient nourrit cette nostalgie...

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  6. Merci pour ce commentaire rigoureux qui vient vient mettre les points sur les i à la lecture de ce billet! C'est vrai que je fais un amalgame entre l'ostalgie et une mode touristique, entre la façon dont certains Allemands de l'est peuvent regretter le système dans ce qu'il avait de meilleur, et le fait qu'on vende de fausses casquettes d'officiers, des mini-trabi, des Ampelman aimanté au bord de la Spree. Reste que les deux phénomènes sont quand même entrelacés! Vraiment chouette que vous ayez pris le temps de corriger mon propos. Allez, bon vent! Antoine

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  7. Un grand merci pour ton article !!! Je suis allée dans cette prison il y a qq mois, j'ai du avoir le même guide que toi,seulement la visite en allemand a été frustrante dans le sens ou je n'ai pas tout compris !!! Ou du moins pensais ne pas avoir tout compris, mais tes précisions corroborent les horreurs que je n'avais pas voulu comprendre....
    Merci, c'est clair et important de partager tout cela.

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  8. Un compte-rendu fantastique, merci beaucoup !

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  9. Tu as fait quelques erreurs dans ton article. De 1945 à 1946, c'était un camp spécial soviétique qui était là majoritairement pour la dénazification. A partir de 1947, on a utilisé le soi-disant sous-marin. D'abord, c'était le ministère de la Sécurité de l'Etat soviétique et dés 1951, c'était le ministère de la Sécurité de l'Etat de l'Allemagne de l'Est qui était responsable de la prison préventive, le sous-marin. A partir de 1961, on a pris en charge le bâtiment neuf jusqu'à 90. C'est jusqu'à la mort de Staline en 53 qu'on a toturé physiquement. Puis, on a abondonné cette pratique au fur et à mesure.

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  10. La RDA n'était certainement pas le pire Etat policier du XXème siècle.Comparé au nazisme c'était un régime de bisounours.
    Préciser que le régime employait 91 000 fonctionnaires pour seulement 7 000 pour la Gestapo c'est navrant. Article qui donne quelques infos intéressantes mais orienté politiquement.

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  11. Je l'ai visite et elle est vétuste mais tout a fait un établissement que l'on connait de nos jours . A part les cellule de torture qui n’existe pas dans nos pays . J'ai eu de la peine car on peut pas visiter librement et le personnage qui nous expose ces faits c'est plains mais je n'avais pas son dossier sous les yeux rien me prouve que cette personne soit un prisonnier politique et non un criminel . Pour ma part rien de spécial . Ce n'est pas mieux de nos établissement actuels.

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  12. Je reviens de Berlin et j'ai moi aussi visité le Musée de la Stasi et la Prison . Je suis relativement déçu par le manque de transparence. Dans la prison il y a quelque part une grande partie théâtral de notre guide...qui au bout d'un moment devient je dirais même un peu lourd et qui ne permet pas de prendre le temps de visité la prison de façon satisfaisante . Je pense qu'il y a du se passé des horreurs dans ces prisons mais ce que je trouve quelque part très grave c'est le voyeurisme de certains touristes en proies et assoiffés de sensationnel. Ces lieux doivent être des lieux de recueillement pour tous ceux qui on soufferts et sont morts là-bas

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  13. Très bonne explication. Ce serait bien d'expliquer pourquoi les prisonniers interrogés avaient les mains sous les cuisses.

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Laissez moi des commentaires bande de loukoums!

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